Conception de la restauration
du Neptune d'Arles
2007/2008
Problèmatique initiale
Découverte lors de la campagne de fouille du Rhône à Arles (Drasme - l'été 2007), cette œuvre fragmentée et lacunaire comporte quatre principaux fragments jointifs, la tête, le torse, le genou droit et la base. Bien que les campagnes suivantes ne permirent pas de découvrir de compléments, il n'est pas exclu que d'autres parties dorment encore dans le lit du Rhône et qu'elles ne soient mises à jour dans les années à venir. Les bras donneraient évidemment un geste à cette œuvre de grande qualité. Mais c'est surtout le mollet gauche qui intéresserait le restaurateur en ce qu'il compléterait la cohérence structurelle originale de l'œuvre.
L'hypothèse de la redécouverte du mollet interdisait une restauration traditionnelle par collage qui aurait compromis sa remise en place. La restauration, pour préserver cette éventualité serait donc un assemblage mécanique réversible. Dans cette perspective, l'absence du mollet gauche induisait un probable déséquilibre du torse. La charge du poids additionné de la tête et du torse serait concentrée à la rive de la cuisse (voir croquis ci-dessus à gauche). Le marbre supporterait-il cet effort sans dommage ? La réponse à cette question épineuse allait venir de notre méthodologie.
Numérisation des blocs
Chacune des quatre parties de la statue a donc été numérisée indépendamment avec un scanner Minolta Vi 910. Les fichiers de saisie ont été traités sur le logiciel Geomagic. La première opération consiste à assembler puis à fusionner les points de vue pour modéliser un clone géométrique fermé de chaque bloc de marbre. Celui-ci définit le volume du bloc, son centre de gravité et il est aisé de calculer à partir de la prise du poids du plus petit fragment (la tête) la densité du matériau et de déduire avec précision le poids des plus gros (voir encadré ci à gauche).
Montage virtuel de la statue
La reconstruction virtuelle d'une statue fragmentée donne la vision de l'œuvre en amont de sa restauration. C'est une émouvante découverte. Techniquement, l'opération consiste à effectuer des "collages virtuels", soit en utilisant les algorithmes développés pour optimiser le ré-assembage des fichiers de saisies (par analyse de la similitude entre les formes), soit à mettre les blocs réels en contact afin de produire un fichier de scan commun auquel est appliqué le même algorithme pour associer les deux parties. Cette seconde méthode, lorsqu'elle est possible, s'avère plus précise.
Recherche de l'attitude
L'œuvre reconstruite devait ensuite être orientée dans l'espace. Si le Colosse d'Alexandrie, de part le style hiératique de l'art égyptien donnait sans contestation possible des verticales rigoureuses, il n'en est pas de même de la liberté du geste qui prévaut dans l'art grec et romain. Ici, la présence de la base plus ou moins parallélépipédique de l'œuvre donnait une première indication. Son imprécision se trouvait corrigée par l'inscription frontale que l'on prit en référence pour l'horizontalité de l'axe X de la statue. Dans l'axe Z (profondeur) une certaine incertitude demeurait. La détermination de la verticalité de la statue (axe Y) fut affaire de compromis. De toute évidence, l'œuvre étant issue d'un bloc de faible profondeur, celui dressé ne laissait pas beaucoup de marge de manœuvre. Restait la considération purement stylistique. L'équilibre d'un corps humain, en l'occurrence, le modèle vivant employé par le sculpteur, avait sa propre logique. Son centre de gravité devant impérativement passer par le pied porteur, à savoir le pied gauche - le sujet étant immobile. Une ligne verticale pouvait être tracée entre le mitant du pied et le sommet du crâne qui devrait passer par le centre de gravité du modèle. En l'absence des deux bras et d'accessoires qui auraient modifié la donne, le centre de gravité des blocs associés du torse et de la tête devrait passer pas cet axe. C'était bien le cas. La position de l'œuvre dans l'espace fut donc ainsi fixée.
Étude de statique
La fusion dans le modèle numérique des parties supérieures - soit Tête-torse, soit Tête-torse-genou - définit donc un centre de gravité commun à ces blocs associés. Dés lors que l'attitude du sujet est fixée, il est aisé de faire passer par le centre de gravité de ces blocs associés des vecteurs verticaux. Ceux-ci ont un parcours significatif dans la volumétrie de l'œuvre. Ainsi la verticale A du centre de gravité Tête-torse (voir ci-contre à gauche) sort du volume entre les deux jambes, passe à la tangente de la cuisse, du genou et du mollet et pénètre à nouveau dans la statue par le pied. La verticale B passant pas le centre de gravité commun aux blocs associés Tête-torse-genou effectue un parcours principalement dans le volume à l'exception d'une brève sortie au niveau de la cheville. Ces observations sont utiles à la compréhension du comportement des blocs au niveau de leurs interfaces. La droite B à la jonction Base-genou et genou cuisse, est le vecteur d'une force transitant dans la forme, tandis que la droite A est le vecteur d'une force qui s'exprime en porte-à-faux. Elle induit un effort en bascule qui s'exprimerait en torsion sur un goujon (voir image de droite). La pression à la jonction des blocs s'en trouverait accrue avec un risque d'écrasement du marbre.
La solution de restauration
Pour neutraliser cet effort et éliminer le risque encouru, nous avons conçu d'ajouter, une force (vecteur C en vert sur le croquis de gauche) en direction inverse de la bascule, un "contrepoids" qui maintiendrait de façon équilibrée l'appui des pierres les unes contre les autres. Pour être optimale, cette force devra passer dans le plan de la verticale du centre de gravité et de la direction en bascule. Il en résultera un vecteur V se déplaçant de droite à gauche sur l'image selon la valeur qui sera donnée à la force c jusqu'à ce qu'un équilibre satisfaisant soit trouvé, c'est à dire lorsque la charge sera uniformément répartie entre les pierres. Il devint alors logique que cette force se traduise par la mise en place d'un câble tendu dans le corps de la statue.
La restauration par simulation préalable
Le clone numérique d'une statue reconstruite virtuellement est une succession de corps creux juxtaposés que le restaurateur peut "explorer" et où il peut installer successivement chacune de ses hypothèses de restauration. Pour rechercher la trajectoire optimale du cable, nous avons matérialisé le plan passant par l'axe vertical du centre de gravité puis un second plan perpendiculaire qui fut incliné jusqu'à ce qu'il recoupe le "quartier" le plus extérieur possible de façon à obtenir l'angle BAC le plus ouvert. La vérification de cette trajectoire s'est faite par l'intérieur de l'œuvre en mesurant à chaque étage la distance minimale résiduelle entre cette droite et l'épiderme.
Chacun des inserts métalliques envisagés - goujons tête-torse, torse-genou, genou-base - a été l'objet d'une modélisation similaire. Restait à concevoir une méthodologie pour le report des axes sur l'objet réel.